Lev Dodine met en scène Vie et destin de Vassili Grossman...

Publié le par chloe et helene

 

 

 

 

 

 

Rendez-vous à 19h au MC93 pour l’évènement théâtral de l’année : une mise en scène par Lev Dodine de la « plus terrible tragédie moderne », Vie et destin de Vassili Grossman. Je n'ai pas encore réussi à entamer la lecture de ce chef d’œuvre… Posé sur ma table de nuit parmi d’autres incontournables du moment – La neige d’Ohran Pamuk – d’autres pavés de 1000 pages que je n’ai pas encore trouvé le temps de lire – Les Bienveillantes de Jonathan Littel – j’ai remis cette lecture à plus tard. Je savoure pour l’instant L’histoire d’amour et de ténèbres d’Amoz Oz et affronte sans aucun complexe, consciente de mes lacunes intellectuelles, la foule des intellectuels parisiens réunis pour cette soirée au théâtre de Bobigny.

Le spectateur se sent oppressé par cet antisémitisme latent, présent de manière insidieuse et vicieuse dans tous les pans de la société. On ne reproche pas à Strum son nom à consonance hébraïque mais plutôt ses expériences scientifiques qui ne viennent pas appuyer l’idéologie dominante. Personne ne reproche rien à ces « youpins » et pourtant on leur demande de s’en aller, d’aller se regrouper dans le ghetto au centre de la ville. Un parallélisme troublant entre nazisme et communisme.

Une place au centre de la salle, assez en hauteur pour pouvoir lire les sur-titres – je ne comprends malheureusement toujours pas le russe – peut-être même trop en hauteur pour pouvoir discerner l’expression des acteurs – je n’ai pas pensé aux jumelles – un siège pas très confortable et une voisine qui émet très rapidement de profonds soupirs – elle va encore devoir supporter cette « torture » pendant trois heures et demi…mais non, heureusement pour elle et pour moi, il y a une entracte – rien ne me perturbe, je me laisse rapidement bercer par la mélodie russe, ensorceler par la saga familiale des Strum, histoire entrecoupée par les monologues larmoyants de la femme de Lev Dodine, histoire à laquelle s’entremêlent les discussions politiques au sein d’un goulag, goulag qui fait tellement penser aux camps nazis que les surveillants se métamorphosent rapidement en SS, les prisonniers vêtus soudainement de tenues rayées entonnent des chants en yiddish.


Peut-être que Lev Dedodine n’a pas su présenter les grands thèmes majeurs du siècle des excès avec les nuances de Vassili Grossman. Peut-être que le jeu des acteurs était caricatural et qu’il ne correspondait pas à la gravité du sujet. Peut-être…En attendant une analyse rationnelle de la pièce, je ne peux que vous offrir mon regard de néophyte qui s’est laissée emporter par cette saga au rythme du ballon de Volley Ball, qui s’est laissée émouvoir par ce scientifique libéré dans son travail mais emprisonné dans sa conscience, qui a senti sa colère monter face à cette rangée d’acteurs mis à nu et sa gorge se nouer par cet adieu final de la mère à son fils.

Publié dans Théâtre

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C
Je n'ai malheureusement pas pu assister à la mise en scène de Frères et Soeurs par Lev Dodine. Et pourtant, les commentaires de ce marathon scénique de 9 heures étaient très élogieux...Je ne pense pas verser des larmes facilement, me laisser émouvoir à moindre frais. Pour preuve, je n'ai pas été touchée par une interprétation de Si c'est un homme de Primo Levi...Bien entendu, pour ceux qui connaissent parfaitement l'histoire de la russie, des goulags, des camps, pour ceux qui ont été bercés par la langue de Pouchkine, je peux concevoir qu'une telle interprétation du texte de Grossman puisse rendre dubitatif ou puisse décevoir.Mais, on ne peut pas reprocher à Lev dodine son parti pris didactique, sa volonté d'informer le spectateur ignorant, de choquer par des rapprochements rapides entre nazisme et communisme au risque d'une simplification parfois excessive.Lev Dodine a choisi une direction: pas la plus élitiste, pas la plus nuancée...Il a pu décevoir des attentes élevées mais il a su émouvoir celle qui n'attendait rien en particulier.Mes commentaires de la mise en scène de Castorf de la jungle des villes de Brecht seront vraisemblablement plus exigeants. J’admire ce metteur en scène, je connais le texte et je comprends l’allemand. J’aurais aimé connaître alors ton jugement sur cette pièce…
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A
Personnellement, je fais partie de ceux qui sont partis du théâtre dubitatifs. Je suis une grande fan de Dodine, mais là, ce n'était plus le metteur en scène que je connaissais.- Pas besoin de crier pour montrer que l'émotion est forte. De même qu'en danse, pas besoin de lever la jambe plus haut quand l'amour du héros pour l'héroine est fort ;))- L'antisémitisme, les camps, les purges. Voilà de quoi faire pleurer à peu de frais n'importe quel spectateur. Il est beaucoup plus difficile de les traiter en finesse, de voir les glissements subtils, les choses de rien qui font basculer...- On m'a déjà dit "ouais, mais c'est difficile de faire ça en finesse sur scène, le théâtre apporte souvent une surdose d'émotions et fait loupe grossissante". Oui. Mais c'est Dodine. Et c'est parce que je lui porte une grande estime que j'en attendais plus de lui.- 3 heures30, c'est une performance théâtrale, de même que le traitement infligé aux acteurs est une performance pédagogique (voir Le Monde), m'enfin, cher Dodine, on était là pour voir ce que tu as fait de Vie et Destin, pas pour voir ce que tu as fait de ta troupe...- La langue russe est sans doute belle, laissez-vous bercer, mais mon oreille y est devenue peu sensible, hélas, à force de la parler depuis 30 ans.
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A
Compte rendu<br /> "Vie et Destin", en scène<br /> LE MONDE | 01.02.07 | 17h00  •  Mis à jour le 01.02.07 | 17h01<br /> SAINT-PÉTERSBOURG ENVOYÉE SPÉCIALE<br /> <br /> l est 2 heures du matin et le Théâtre Maly est encore bruissant de vie, derrière sa façade crème néoclassique de la rue Rubinstein, à deux pas de la célèbre perspective Nevski. A Saint-Pétersbourg, en ces grises journées de décembre, jour et nuit se confondent dans le temps du théâtre, dans le temps de l'histoire. Lev Dodine, le maître des lieux - et l'un des maîtres de la mise en scène en Russie - répète avec sa troupe Vie et Destin, adaptation théâtrale du chef-d'oeuvre de Vassili Grossman. La création du spectacle a lieu le 4 février en France, à la MC93 de Bobigny, où elle est un des événements majeurs de la saison.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Seul un des passages du roman, La Dernière Lettre, avait jusqu'à présent été porté à la scène, à la Comédie-Française, par le cinéaste américain Frederick Wiseman. Mais, aujourd'hui, c'est la fresque de Grossman dans son entier qui accède à la vie du théâtre. Vie et Destin, le Guerre et Paix du XXe siècle, destinée d'une famille qui, au moment de la bataille de Stalingrad, se retrouve prise dans la folie du stalinisme et du nazisme. Le livre, aussi, qui s'attaque aux tabous de la Russie soviétique : parallèle entre les totalitarismes - "le grincement combiné des fils de fer barbelés de la taïga sibérienne et du camp d'Auschwitz" -, antisémitisme de la société russe, purges de 1937, goulag.<br /> Au milieu des photos de ces spectacles devenus mythiques - Frères et soeurs, Gaudeamus, création emblématique de la perestroïka, Claustrophobia... -, qui ont tourné en Europe et laissé en France des souvenirs impérissables, Lev Dodine, petit homme rond et chaleureux de 61 ans, barbe poivre et sel, regard noir et vif, refait le chemin qui l'amène à porter au théâtre ce monument littéraire.<br /> Dodine, issu d'une famille d'intellectuels juifs, n'a jamais été un artiste officiel mais travaille néanmoins comme metteur en scène depuis la fin des années 1960. Il découvre le livre de Grossman à Helsinki en 1986 - Vie et Destin ne sera publié en Russie que fin 1988. "En sortant de la librairie, je ne pouvais m'empêcher de regarder derrière moi pour voir si je n'étais pas suivi par un agent de KGB, dit-il en souriant. Je l'ai lu en deux nuits, et cela a été une révélation incroyable : cela nous parlait du passé, mais aussi de notre présent, celui de l'Union soviétique. Et au fur et à mesure que les années passaient, cela nous parlait de plus en plus de l'avenir."<br /> HORS DU COMMUN<br /> Au fil du temps, porter le livre au théâtre lui est apparu de plus en plus comme "une nécessité extrême". "Un des problèmes-clés de la Russie d'aujourd'hui, c'est qu'elle n'arrive pas à prendre conscience sérieusement de son histoire. C'est absolument tragique : on se retrouve coincés entre la nostalgie de l'ère soviétique - que tous partagent, de l'ouvrier au businessman - et le lavage de cerveau. La société n'a plus de conscience."<br /> Pour Dodine, le roman de Grossman, d'une richesse humaine et philosophique hors du commun, peut servir de "révélateur, au sens de révélateur chimique" : "Les gens se disent que l'hitlérisme et le communisme sont de vieilles lunes. Mais non seulement le fascisme et le stalinisme sont toujours vivants en Russie, mais d'autres "ismes" apparaissent, tout aussi dangereux : nationalismes, fondamentalismes." "Et de nouveaux racismes, qui doublent un antisémitisme toujours vivace, ajoute Sergueï Kurishev, vieux compagnon de route de Dodine, qui joue Strum, le savant, personnage principal du récit. Sans compter que les assassinats d'étudiants africains restent en général impunis."<br /> Dodine a choisi Strum comme fil conducteur d'un récit qu'il a voulu mener, dans le cadre de son engagement de pédagogue, avec ses étudiants de l'académie théâtrale de Saint-Pétersbourg. Il a accompli avec ces jeunes, entrés à l'école entre 17 et 23 ans, un travail de longue haleine, inimaginable ailleurs en Europe. Au fil de leurs quatre années d'études, ces jeunes artistes, qui sont aussi bien musiciens, danseurs que comédiens, ont improvisé, en compagnie des acteurs permanents de la troupe, toutes les scènes du roman.<br /> AU-DELÀ DU CERCLE POLAIRE<br /> Cette plongée dans les profondeurs du texte s'est accompagnée d'un "travail sur le terrain" très représentatif de la "méthode Dodine". La troupe s'est rendue à Norilsk, au-delà du cercle polaire, un des hauts lieux du goulag, et à Auschwitz, où elle a même "filé" la pièce, de nuit, dans un des baraquements. Plusieurs de ces jeunes acteurs se disent d'ores et déjà, à l'image d'Elena Solomonova, qui joue Ludmila, la femme de Strum, changés par cette expérience : "Ce fut un bouleversement de conscience extrêmement puissant, dit sobrement la jeune femme. Jusque-là, la vérité des camps était restée abstraite."<br /> Dans la petite salle du Théâtre Maly, écrin tapissé de noir, Lev Dodine peut faire répéter la même scène des dizaines de fois, traquant la vérité humaine de chaque moment, demandant à ses comédiens toujours plus de justesse, dans la grande tradition russe du travail de l'acteur. Le but est de concentrer au maximum les enjeux du roman - y compris ce qui ne sera pas montré, comme la bataille de Stalingrad - dans le corps des acteurs, dans l'atmosphère du spectacle : "Les grandes lignes lyrico-philosophiques du livre doivent irriguer le récit, qui fera cohabiter sur le plateau l'histoire de Strum et de sa famille, et les scènes de camps nazis et soviétiques", indique Dodine.<br /> Dans la nuit de Saint-Pétersbourg, tout se fond dans le temps du théâtre : Stalingrad, les camps, l'histoire d'amour de Novikov et d'Evguenia, et ces millions d'histoires individuelles prises dans le réacteur nucléaire de l'histoire, avec sa puissance de destruction et son énergie vitale intimement mêlées, comme le montre l'indispensable leçon d'humanisme de Vassili Grossman. Alors, comme Strum, on pense à ces vers de Mandelstam : "Et le siècle chien-loup me bondit sur le dos/un loup je ne suis..." <br /> <br /> <br /> <br /> Fabienne Darge<br />
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